(La suite d'un évènement passé ig... Je ne précise pas, ceux concernés comprendront ^^)
Rien ne l’avait jamais plongée dans une situation si insupportable… La discussion avec Alyta l’avait… définitivement remise en place. Installée au fond de la cale du bateau, elle entendait sourdement les marins du pont qui préparaient le départ. Un léger tangage… Les amarres étaient détachées, et dans un roulis régulier, le navire s’éloigna de Theramore.
Repliée sur elle-même dans un coin sombre, adossée contre le bois avec entre les bras son fourreau de cuir, seul ses yeux trahissaient sa présence. Des yeux… embués de larmes malgré elle. Pas un son ne sorti pour autant… Le plancher qui grinçait, les caisses ça et là qui gémissaient sous un balancement, le faisaient pour elle. Son silence reflétait la solitude qu’elle ressentait à ce moment.
Lou appuya sa tête contre son bras, relâchant les muscle tendus au point de lui donner des crampes, et dont elle se rendait à peine compte. Le dégoût qu’elle ressentait pour elle-même n’avait jamais atteint ce paroxysme… Et les « pourquoi » qui martelaient son crâne ne trouvaient aucune réponse.
Si… Sa faiblesse. Comme le lui avait fait remarqué la paladine, elle était faible. Mais… Ce n’était nullement son côté « démon » qui en portait la responsabilité. Elle avait décidé de faire le point, de ne plus se mentir… Le résultat était pire, et la guerrière songea qu’il valait parfois mieux ignorer éternellement. N’était-ce pas plus simple quand elle s’était fermée autrefois, quand rien ne la touchait plus ? L’idée de revenir vers cette période était tentante… Mais elle n’y parviendrait pas. Une arme… Même se convaincre qu’elle n’était que ça, ne suffisait plus. Et son cœur souffrait à présent… Elle aurait beau faire, les sentiments qu’elle avait pour Alia, cette elfe si détestée par Alyta, ne disparaîtraient pas… Elle devrait ranger ces émotions dans un coin, voilà la seule conclusion qu’elle avait pu en tirer.
Lou posa ses yeux sur le décors, distraitement ; chaque objet dégageait une légère aura… Elle aurait aimé ne rien voir, être plongée dans l’obscurité la plus totale. Fermant les yeux, la jeune femme serra un peu plus l’arme, instrument de sa haine et de cette vie pénible. Ca n’aurait pas dû la toucher… Pourquoi alors ? C’était… au fond d’elle… Peut-être ne faisait-elle que le mal par nature, comme elle l’avait entendu. Mais elle ne pouvait croire Alyta sur un point : que cette personne importante à ses yeux s’amusait d’elle, et qu’un jour… elle souffrirait aussi. Et la confiance qu’elle avait dans le jugement de son amie n’était pas en cause : Lou voulait espérer, se faire elle-même son opinion. Si elle se trompait, alors, elle tomberait encore bien plus bas. Et elle touchait pourtant déjà le fond.
Avec douleur, Lou revit l’air déçu de la paladine ; son ton froid et sec, ses paroles mordantes, qui lui avaient clairement fait comprendre qu’elle ne serait plus jamais rien à ses yeux… Pire que cela, Alyta avait comme perdu sa foi en l’humanité ; cette souffrance semblait l’avoir définitivement fermée… Désemparée, Lou avait songé à se donner la mort. Sa promesse… Au diable cette promesse, si elle ne causait que tristesse autour d’elle. Jaliane en souffrait aussi…Elle l’avait involontairement mêlée à cette histoire, et lui causer de la peine en « réglant » cette affaire devant elle, la navrait. Par sa faute, il ne restait plus que désolation. Parce qu’elle… portait une personne dans son cœur, qui remettait tout en question. La décision de la jeune femme avait été vite prise : elle éviterait cette elfe… Et pour son bien déjà, car elle n’allait que briser un équilibre, égoïstement. Et puis que pouvait-elle apporter à qui que ce soit ? L’évidence était là : rien à part de la peine… Les émotions n’étaient pas pour elle ; tant qu’elle serait incomplète, tant que cette barrière l’empêcherait de savoir qui elle était dans le fond, il vaudrait mieux qu’elle se contente d’exister… plutôt que de vivre.
Le temps de réflexion parut éternel… Descendant à Menethil après avoir séché ses dernières larmes, Lou emprunta l’un des griffons, l’air absent. Le vent en plein visage ne lui fit que le plus grand bien. Cette sensation de voler, de se laisser porter dans le vide, étaient agréables… Il lui aurait été si facile de se désarçonner, de se laisser aller dans une chute indolore qui se terminerait par l’oubli ! Lorsqu’elle toucha à nouveau terre, la bête piaillant comme pour lui signaler qu’elle lui était à présent importune, Lou eu à nouveau le poids de ses actes sur les épaules. Un poids que sa force peu commune ne diminuait en rien… Un poids… sur le cœur et sur l’âme.
La jeune femme s’aperçut brusquement qu’elle était venue tout naturellement à Southshore. A quelques pas, les pierres tombales se dressaient dans la nuit, entourées de lueurs pâles et multicolores. Ce spectacle fantomatique lui arracha un sourire triste… Car parmi elles, l’être qui lui avait redonné la force après son exil, brillait aussi dans ces ténèbres… L’être qu’elle avait aimé aussi intensément que leur relation fut brève. Celui qui n’avait rien repoussé…en y laissant sa vie. Lou eut un haut-le-cœur ; aujourd’hui, avoir trahi cet homme était pire que de l’avoir tué…
A pas lent, elle s’approcha d’une des pierres tombales. Elle se mit à genoux devant celle-ci, posant une main sur la terre.
- Sylthiel… murmura-t-elle doucement.
Ce nom n’était pas inscrit… Car Lou l’avait enterré là elle-même, ne pouvant se permettre d’être arrêtée par les gardes et emprisonnée pour ce crime. Elle serait jugée un jour, par des autorités bien supérieures à celles des hommes. Avec un certain soulagement, elle vit qu’il y avait comme toujours un bouquet posé là ; la pierre de ce « Jesse » était régulièrement nettoyée et fleurie, voilà pourquoi elle l’avait choisi comme voisin de son cher barde. Au moins… il n’était pas vraiment seul.
- Il fallait que je te vois, reprit-elle sur un ton murmurant. Pour te demander pardon. Je ne t’ai pas oublié… Et pourtant je t’ai manqué de respect. Rien ne me justifie… Ca me fait du mal tu sais, je ne parviens plus à suivre cette ligne que je m’étais tracée. Tu me manques tellement… Dis moi…. Que je peux te rejoindre… Que je peux m’arrêter là aujourd’hui…
Elle se tut, fixant la pierre nimbée d’un or scintillant. A travers elle, la guerrière visualisait l’image sanglante qu’elle avait eu au réveil ce jour là, et qui oppressait tous ses sens. Sa vue se voilà d’un pourpre… L’idée de mort ancrée déjà si profondément refit surface, lui tendant une main amicale et salvatrice. Si tentant… Ses doigts glissèrent vers sa ceinture où elle gardait accrochée une dague simple. Ses yeux se fermèrent, alors que sans contrainte, guidées comme par une volonté propre, ses mains pointaient l’arme vers son cœur. Jamais désespoir n’avait été si intense ; et alors que le flot tendu d’émotions pernicieuses noyaient sa raison, elle perçut une chanson monter dans les airs. Des paroles… d’espoir… Les paroles d’un chant composé par Sylthiel. Le son devint rapidement lointain ; ouvrant les yeux et cherchant alentour, Lou ne vit personne… Etait-ce un garde ou un passant qui l’avait fredonné ? Le chant lui rappela des images plus douces, et la Mort lâcha prise, disparaissant dans ses ténèbres… Lou porta son regard sur la pierre, et comprit.
- Je dois… me reconstruire… Une dernière fois. Pour toi.
Lâchant la dague, un soupir précéda des larmes libératrices. Elle resta là longuement… Jusqu’à ce que l’aurore éteigne en naissant à l’horizon son regard si particulier.
Lorsque la jeune femme quitta la région, elle avait repris de sa force, bien décidée à supporter la douleur et surtout à la surmonter. Après tout, quel était le plus grave ? Il était inutile de se mentir : elle aimait cette elfe. D’un amour différent de ce qu’elle avait éprouvé pour Sylthiel. Et qu’elle ne pourrait jamais s’expliquer. Ceci mit véritablement à plat, et en dépit des tourments causés autour, elle pouvait maintenant décider d’avancer. Seule. Car ce gouffre étroit où pointait faiblement un espoir de sortie, ne lui permettait plus de s’appuyer sur qui que ce soit. Il était temps qu’elle arrête de se réchauffer au coin d’un feu, pour brûler par elle-même. Sylthiel avait été son premier soutient, l’homme qui avait empêché son cœur de devenir plus sec et froid que les étendues glacées de Winterspring. Puis Silk, talentueux bretteur en quête de vengeance, avait été un moyen d’avancer, une concurrence stimulante qui avait repoussé ses limites de guerrière. Kreseliane, cette gnome au charme irrésistible, lui avait fait retrouvé le goût de la curiosité et de l’intérêt pour les gens. De là, Alyta lui avait offert une amitié qu’elle n’oublierait pas, lui permettant d’aller bien plus loin dans ses recherches, lui redonnant sourire et humour, et surtout le goût de vivre. Enfin, ses amis plus chers chaque jour, Jaliane, Orime, Ayatto, Trulgar… tous autant lui avaient procuré de bons moments, parfois difficiles mais le plus souvent amusants. Jusqu’à résoudre son problème personnel, elle serait auprès d’eux… de son mieux.
Arrivée à Iron, Lou embrasa du regard le décors et les gens qui s’y affairaient. Toutes les races circulaient ça et là, les conversations nombreuses étouffées par le bruit des marteaux sur les enclumes de la forge. Aventuriers zélés, badauds cherchant à boire ou à se reposer, intéressés des biens proposés aux enchères, tout ce petit monde cohabitait dans la grande cité naine, sans vraie méfiance et attention. Bien que Lou ne fut pas une adepte de la foule, elle savait qu’elle serait là plus tranquille que jamais, perdue au milieu des autres, anonyme. Elle prit une chambre plus que modeste à la seconde auberge, moins réputée et donc plus calme.
Là, assise sur le matelas somme toute inconfortable et usé, elle détacha l’armure. Un faible sourire se dessina sur son visage en voyant sous sa chemise les points en croix appliqués avec tant de minutie sur une blessure traversant le ventre. Un vestige supplémentaire de son acharnement au combat… Alia avait tout fait pour écourter la douleur des soins. Pourtant, pour Lou, le mal « physique » n’était qu’une vieille habitude, si supportable finalement… Elle songea aux traces qu’elle portait depuis son enfance. Des marques légères, sur les côtes, sur le dos, si bien qu’elles paraissaient comme les autres dues aux affrontements. Qui était-elle avant ? Est-ce qu’une gamine à demi démon se battait dès le plus jeune âge ?
- Delnaess… murmura-t-elle.
Un nom qui lui semblait étranger sur ses lèvres. Et pourtant, sans doute son vrai prénom…
Lou s’assit sur une des lourdes et vétustes chaises à l’image de leurs artisans nains eux-mêmes, et pris un morceau de papier. Là, laissant voguer son imagination et ce qu’elle ressentait, elle écrivit à l’encre sombre un poème improvisé.
Je sais, il me manque, un je ne sais quoi
Je voulais être tant, tant mais je ne suis plus
Qu’une ombre dansante, sous une lumière sans éclat.
Je voudrais être autre, mais je ne suis pas
Je voudrais changer d’être, mais je ne suis que moi.
Je suis en vie, mais vit sans saveur.
Il me manque un je ne sais quoi et j’ai peur.
La peur de me perdre, de sombrer dans l’oubli
D’être ce que je voulais être, ne plus être ce que je suis
Perdre, perdre ce qui m’est le plus cher
Oublier en moi ce qui donne force à mon esprit
Ne plus voir le Nord, ne plus voir le cap
Attendre sans espoir un instant de répit.
Il me manque, je sais, un je ne sais quoi
Quelque chose qui est parti loin de moi
Un petit bout, un petit bout de lumière
Un je ne sais quoi, je sais, perdu à tout jamais.
Laissant la plume choir sur la table, elle s’enfonça dans le siège, le sommeil la gagnant. Dès qu’elle le pourrait, le soir même s’il le fallait, elle affronterait à nouveau la paladine. Avec calme, et surtout, honnêteté…